Il
était une fois une poule très intelligente,
qui se posait des questions.
Par exemple, elle se demandait, comme vous et moi, qui,
d'elle ou de l'oeuf, était apparu en premier sur
la terre.
Mais, comme vous et moi, elle était incapable de
répondre.
Elle était assez copine, à la ferme, avec
un cochon très bien élevé, très
gras, très poli, plutôt élégant,
qui changeait de cravate à peu près tous les
jours, ce qui agaçait la poule, parce qu'elle était
plutôt nature, elle, s'habillant de robes en coton
toutes simples, qu'elle achetait le plus souvent en solde
du reste, et qu'elle ne repassait même pas, prétextant
que le coton n'a pas besoin d'être repassé
et qu'à la campagne, où l'on se salit tout
le temps, il est ridicule de pratiquer l'élégance.
Bref, cette poule, un peu négligée dans sa
tenue, et qui s'intéressait surtout aux choses de
l'esprit, était une intellectuelle.
Le cochon, lui, passait son temps à se préoccuper
de sa mise, à faire le beau dans la cour de la ferme,
et rien ne lui plaisait tant que de parler chiffons avec
la poule, qui l'écoutait d'une oreille distraite,
certes, mais qui l'écoutait tout de même, parce
qu'elle l'aimait bien, au fond, ce cochon. Il était
si différent d'elle que ça l'intriguait, justement.
Elle cherchait à le comprendre, se posait des questions
à son sujet. Et, se poser des questions, la poule
adorait ça.
Et puis il y avait autre chose. Mais il est trop tôt
pour le dire.
Quant au cochon, il voyait bien que la poule ne faisait
même pas attention à sa nouvelle cravate, quand
il en changeait, le matin, et qu'elle ne remarquait même
pas la coupe de son costume ni l'originalité de son
chapeau. Mais en somme, il était assez fier de se
promener avec la poule, parce que c'était une intellectuelle.
Dans la famille du cochon, on n'ouvrait jamais un livre,
on ne discutait pas, et, lorsqu'on se réunissait
autour de l'auge, on mangeait en regardant la télé.
Un
jour qu'ils se promenaient, tous les deux, la poule, qui
avait de la suite dans les idées, abordait avec lui,
pour la cinquantième fois, le problème de
la poule et de l'oeuf. Car, l'avantage avec les questions
sans réponses, n'est-ce pas, c'est qu'on peut continuer
à se les poser sans craindre de s'ennuyer. Le cochon,
lui, regardait sa cravate, qui, à son gout, lui descendait
un peu trop au-dessous du ventre. Et tout en écoutant
négligemment la poule, il essayait de refaire son
noeud.
- Tu comprends, Norbert, disait la poule. Un oeuf. Essaie
d'imaginer un oeuf. Quelqu'un l'a fait, forcément.
- Tu sais, moi, les oeufs
, disait le cochon.
- Arrête de tripoter cette cravate, disait la poule,
tu m'agaces.
- Toi aussi tu m'agaces, avec ton histoire d'oeuf, disait
le cochon. Ca t'obsède tellement que tu ne vois même
pas que ta robe traîne dans la boue. Et puis, tu en
ponds des oeufs, ou je me trompe ?
- Heu, oui, répondit la poule.
Sa voix était un peur hésitante, mais le cochon,
qui n'était pas très attentif, ne le remarqua
pas.
- Et bien, c'est déjà pas mal, reprit-il.
Tu donnes la vie, Maud. C'est énorme. Ca devrait
te suffire.
- Mais ça ne me suffit pas, répondit la poule.
Parce que je voudrais comprendre.
- Si encore c'était moi, dit le cochon. Si c'était
moi qui pondais des oeufs. Là, oui. Je me poserais
des questions. Mais les cochons ne pondent pas d'oeufs.
Cot !
- Qu'est-ce que tu dis ?
- Rien, dit le cochon. Codet !
- Qu'est-ce qui se passe ? dit la poule. Tu caquettes, ou
quoi ?
- Je ne caquette pas, dit le cochon.
- Si, dit la poule, tu caquettes. Tu viens de caqueter,
là. Ne me prends pas pour une idiote.
- Bon, dit le cochon, d'accord. J'ai caqueté. Ca
peut arriver à tout le monde.
- Non, dit la poule. Un cochon qui caquette, ça n'existe
pas.
- Et pourtant j'ai caqueté, dit le cochon.
- Ah tu vois, tu l'admets, maintenant.
- Cot, dit le cochon.
- Tu ne vas tout de même pas pondre un oeuf ? dit
la poule. Tu m'inquiètes.
- Apparemment, je ne ponds pas, dit le cochon. Tu vois.
- En effet, dit la poule, tu n'as pas pondu. Remarque, c'est
normal, tu n'es pas une truie. Mais tu caquettes, ça
oui. Attends. Grogne un peu, pour voir.
- Cot ! dit le cochon.
- Couine, dit la poule.
- Codet ! dit le cochon.
- Tu m'inquiètes pour de bon, dit la poule.
- C'est peut-être une extinction de voix, caqueta
le cochon. J'ai dû trop serrer ma cravate.
-
Desserre-la, dit la poule.
- Ah non ! caqueta le cochon. De quoi je vais avoir l'air
?
- D'un cochon raisonnable, dit la poule. Qui fait passer
sa santé avant l'élégance. Allez, desserre-la.
- Bon, codet, dit le cochon. Il tira sur son noeud. En vain.
- Attends, je vais essayer, dit la poule.
Elle tira sur son noeud. En vain. La cane arriva en se dandinant,
son baladeur sur la tête.
- Je peux vous aider ?
- Ah, Ghislaine, dit la poule. Tu tombes à pic. Je
n'y arrive pas, j'ai les ailes trop molles. Et Norbert a
les sabots qui glissent. Peut-être qu'avec ton bec
- Je crois plutôt, dit la cane, qu'on devrait aller
voir le chien. Il a ses griffes, lui.
Ils allèrent voir le chien. Il dormait dans sa niche.
- Claude ! appela la cane.
- Qu'est-ce qui se passe, encore ? dit le chien. On ne peut
plus dormir, ici ?
- Norbert a trop serré sa cravate, dit la poule.
- Tiens, dit le chien, tu t'intéresses aux problèmes
matériels, maintenant ?
- C'est pas pour moi, dit la poule. C'est Norbert. Il caquette.
- C'est tes histoires d'oeuf, dit le chien. A force, ça
lui a monté au cerveau.
- Mais non, dit la poule, je n'y suis pour rien. C'est sa
cravate.
- Bon, dit le chien, d'accord. Essayons.
Il tira sur le noeud. En vain.
- Elle est coincée, cette cravate, conclut-il. Va
falloir la couper, Norbert.
Le fermier arrivait.
- Qu'est-ce que vous fabriquez, tous les trois ? s'enquit-il.
- C'est Norbert, dit la cane. Sa cravate le fait caqueter.
Elle est trop serrée. Claude propose de la couper.
- Norbert, dit le fermier, viens voir un peu ici.
Le cochon, très élégant, très
rose, mais la figure plutôt rouge, s'avança
vers le fermier.
- Cot, dit-il. Codet.
- En effet, tu caquettes, dit le fermier. Ne vous inquiétez
pas, je vais m'en occuper, dit-il au chien, à la
cane et à la poule. Les problèmes de cochons
qui caquettent à cause de leur cravate trop serrée,
ça me connait.
Et le fermier emmena le cochon, caquetant.
Le lendemain, on ne revit pas le cochon.