Le
grand inquisiteur
Un
jour, à Séville, un terrible crime fut commis
et personne ne savait qui en était coupable.
Cherchant
autour de lui quelquun à accuser, le Grand Inquisiteur
décida que les Juifs devraient en répondre.
De tous ceux qui vivaient à Séville, ce fut
le rabbin Pinkhes quil fit chercher. Cétait
le rabbin de la plus grande communauté juive de la
ville. Il était lhomme que les Juifs écoutaient
et respectaient le plus. Sil était condamné,
ils en souffriraient sûrement.
Le
Grand Inquisiteur fit passer le rabbin en jugement et essaya
de convaincre le jury quil était coupable. Le
jury lui répondit quil ny avait pas la
moindre preuve justifiant son accusation. Mais rien ne pouvait
arrêter le Grand Inquisiteur. Il revint avec un nouveau
stratagème pour condamner le rabbin.
«
Nous laisserons cette affaire entre les mains de Dieu, dit-il,
jai décidé que le moyen le plus juste
pour trancher était de faire un tirage au sort. Je
mettrai deux bouts de papier pliés dans une boîte.
Sur lun deux jécrirai « coupable
» et sur lautre « non coupable ».
Si le rabbin tant estimé pioche le morceau où
jai écrit « coupable », cela signifiera
que lui et tous les Juifs sont coupables, et le rabbin sera
exécuté sur le champ. Sil pioche le morceau
où jaurai écrit « non coupable »,
nous devrons le laisser partir. »
Le
Grand Inquisiteur était un homme plein de méchanceté.
Il voulait que le rabbin meure et il ne comptait pas le laisser
partir. Le rabbin en avait bien conscience et soupçonna
lInquisiteur davoir écrit « coupable
» sur les deux bouts de papier.
Le
Grand Inquisiteur ricana et dit au rabbin :
«
Maintenant, piochez-en un. »
Si
tu étais à la place du rabbin Pinkhes, le sage
responsable de la plus grande synagogue de Séville,
il y a de cela cinq cents ans, que ferais-tu ? Comment téchapperais-tu
du piège cruel tendu par le Grand Inquisiteur ?
Illustration d'Arthur Szic
Illustration
d'Arthur Szic
Le
rabbin Pinkhes connaissait bien le Grand Inquisiteur. Il pouvait
suivre le fil tortueux de ses pensées. Il sourit au
juge qui triomphait à lavance. « Comme
cest gentil, dit-il de me donner une chance de pouvoir
partir libre. Comme cest équitable de laisser
Dieu prendre la décision. » Puis, dun geste
rapide, il plongea sa main dans la boîte, prit un morceau
de papier et, avant que quiconque se rende compte de ce quil
faisait, il lavala !
«
Pourquoi avez-vous fait cela ? sexclama lInquisiteur.
A présent nous ne saurons jamais quel morceau de papier
vous avez pioché. Pour vous, cest la mort assurée.
»
«
Dieu ma inspiré davaler le bout de papier
pour prouver mon innocence ! Si vous avez le moindre doute,
dit le rabbin, vous navez quà regarder
le bout de papier qui reste dans la boîte. Sil
y a marqué « non coupable », alors il y
avait marqué « coupable » sur celui que
jai avalé. Mais sil y a marqué «
coupable » dessus, alors, sur celui que jai avalé,
il y avait marqué « non coupable » .»
Le
Grand Inquisiteur déglutit avec peine. Il eut beau
chercher, il ne trouvait rien à redire à cela.
Il enfouit alors sa main dans la boîte et lut le bout
de papier. Et comme lavait soupçonné le
rabbin, il y avait marqué « coupable »
dessus.
«
Vous voyez ? dit le rabbin, il y avait donc marqué
« non coupable » sur celui que jai avalé.
»
Le
Grand Inquisiteur devint rouge cramoisi mais il fallait bien
quil rende sa liberté au rabbin.