Tapuscrit de la petite joueuse d'échecs

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La tête en feu, Octavio s'éloignait à reculons, lentement, sans geste brusque, surveillant l'engin comme s'il s'était agi d'un fauve. (...) Encore quelques mètres, et ce serait l'escalier. Alors, il pourrait se retourner et courir de toutes ses forces pour s'éloigner de ce couloir maudit, et si le fauteuil, par extraordinaire, démarrait, il aurait toujours la ressource de se coller au mur, hors du chemin central imposé à l'engin par les capteurs(...)
Octavio se retourna et détala. Comme il se précipitait dans l'escalier, il entendit le vrombissement du fauteuil-taxi qui démarrait en trombe. Jamais il n'avait descendu les marches aussi vite. Il les dévalait par deux, par trois, sans se retourner. Lorsqu'il fut parvenu au milieu de la deuxième volée, le chuintement et le double bip lui annoncèrent que le fauteuil quittait le couloir pour amorcer son virage et débouler à son tour dans l'escalier.
Octavio se tordit la cheville sur l'une des dernières marches, juste au moment de déboucher sur la mezzanine. Le fauteuil le percuta durant la fraction de seconde où il se trouvait en déséquilibre, la tête penchée vers le sol.
Cette perte d'équilibre lui sauva la vie. Au lieu d'être emporté, propulsé violemment contre la rambarde et balancé par dessus pour s'écraser cinq mètres plus bas sur le dallage du hall-car telle était, de toute évidence, l'intention du fauteuil à ce moment-là-, il fut projeté sur le sol de la mezzanine et il y glissa comme sur une patinoire. La douleur provoquée par l'impact du fauteuil contre sa hanche commençait à peine à irradier que sa mâchoire craqua en heurtant les barreaux ; il vit des étoiles et faillit s'évanouir.
Son corps n'était que souffrance, mais il était en vie !... Il rampa aussitôt, en tirant sur ses coudes comme un forcené, jusqu'au tapis salvateur tout proche [*]; il s'y réfugia comme on se jette à l'eau et, dans l'instant d'après, le fauteuil cogna contre les mains courantes situées de part et d'autre du tapis : l'engin était beaucoup trop large pour s'engouffrer entre elles et pour écraser sa proie, et il cognait contre les rampes, à coups répétés, avec une espèce de rage meurtrière impuissante, tandis que le tapis, doucement, emmenait Octavio vers la délivrance.
Il avait mal partout. Sa hanche devait être fêlée ou cassée. Il ressentait des élancements horribles entre sa tempe et sa mâchoire, et du sang coulait en filets de sa bouche : deux ou trois de ses dents avaient dû jouer les filles de l'air à la suite du choc ! Mais cela n'était rien. Il était vivant ! Il allait s'en sortir !...
Comme il atteignait le sol dallé de blanc et de noir, le mécanisme du tapis se bloqua. Dans la seconde qui suivit, le mouvement s'inversa ! Le tapis ramenait Octavio vers le fauteuil ivre de fureur !...