Extrait de La sorcière et le commissaire

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J'habite une rue tout plein jolie, et cette rue est toute pleine de boutiques. Dans chacune de ces boutiques on exerce un métier. Ce qui fait que ma rue est toute pleine de jolis métiers.
Il y a un boulanger
qui fait des boules pour les gens âgés.
Il y a un tripier
qui vend des tripes et des pieds.
Il y a un tailleur de pierre
qui fait des costumes en pierre.
Il y a un restaurant
qui restaure les vieux monuments. […]
Il y a un charcutier qui charcute,
un boucher qui bouche,
un plombier qui plombe,
des pompiers qui pompent,
il y a une fermière qui ferme,
une ouvreuse qui ouvre.
Il y a un maire et deux octogénaires,
il y a trois ménagères et quatre camemberts,
il y a enfin une sorcière !
La sorcière, on n'a pas su tout de suite qu'elle était sorcière. On a cru, tout d'abord, que c'était une vieille dame comme les autres, un peu plus mal coiffée peut-être, mal habillée aussi, mais ce n'est pas un crime, avec des cheveux dans les yeux, une dent sur le devant, une bosse par-derrière, et une goutte au bout du nez qui ne voulait jamais tomber.
Elle habitait une petite maison avec un petit jardin autour et des grilles donnant sur la rue. Et puis voilà qu'un jour, un taxi a disparu, un beau taxi tout bleu avec un chauffeur russe. On a cherché partout mais on n'a retrouvé ni l'homme ni la voiture. Mais le lendemain matin tout le monde a vu, derrière les grilles, dans le jardin de la sorcière, une belle citrouille toute bleue, et tout près d'elle un gros rat rouge, assis sur son derrière, avec une belle casquette, bien coquette, posée sur sa tête.
Alors il y a des gens qui ont fait des réflexions.
Deux jours après, c'est une couturière qui a disparu. […] Cette fois, les gens ont bavardé.
Et puis, le mois suivant, ce sont trois personnes qui ont disparu : un agent de police, une femme de ménage et un employé du métro. […] Alors les gens de mon quartier se sont mis en colère. Ils ont pris la sorcière et l'ont menée chez le commissaire.
Et le commissaire lui a demandé : " Sorcière, sorcière, qu'as-tu dans ton jardin ?
- Dans mon jardin ? a dit la sorcière. Je n'ai rien d'extraordinaire ! J'ai du persil et des radis,

J'ai des carottes et de l'échalote.
J'ai des fleurs, des choux-fleurs et des pois de senteur …
- Sorcière, a dit le commissaire, je ne te parle pas de ton persil ni de tes radis, de tes carottes ni de ton échalote. Je te parle de ta citrouille bleue !
- Ah ! C'est de ma citrouille que vous voulez parler ! Eh bien, il fallait le dire ! C'est un taxi que j'ai transformé …
- Et pourquoi l'as-tu transformé en citrouille, ce taxi ?
- Parce qu'une citrouille, c'est beau, c'est rond, ça se coupe en tranches, ça se met dans la soupe et ça sent bon. Parce qu'une citrouille, ça ne fait pas de bruit ni de fumée, ça n'encombre pas la chaussée, ça ne consomme pas d'essence et ça n'écrase pas les gens …
- Et le chauffeur, sorcière, qu'en as-tu fait ?
- Le chauffeur, j'en ai fait un rat !
- Et pourquoi ?
- Pour qu'il soit heureux, bien sûr ! "

Pierre Gripari, La Sorcière et le Commissaire