Extrait de La verluisette

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Quand Madurer fut mort, et que le palais et tout le village eurent pleuré pendant de nombreux jours, le vizir fit appeler Sakoumat.
"Maintenant tu es mon frère, dit-il. Ma maison t'appartient à toi et à tes héritiers. Si tu ne veux pas séjourner dans ta maison, tu emporteras avec toi la moitié de mes richesses en or, pierres précieuses, épices et étoffes de prix."
Le peintre le remercia en s'inclinant. Sa barbe était maintenant tout à fait blanche. Les derniers moi passés dans la chambre de Madurer avaient rendu sa peau blanche elle aussi, et dessiné de fines rides au coin de ses yeux.

"J'ai déjà eu la moitié de tes richesses, seigneur dit-il, et de plus le mot "frère" m'est doux à entendre. Je te demande seulement un cheval jeune. Le mien était déjà vieux quand je suis arrivé : il ne supportait plus aujourd'hui le voyage à travers les montagnes. "

Quelques jours plus tard, monté sur un jeune et fringant cheval blanc, le peintre, sur sa demande quitta le palais et le village. A l'embouchure de la vallée, avant que Nactumal ait disparu à sa vue, il arrêta son cheval, rassembla un tas de ronces et de brindilles, plaça dessus la cassette qui contenait ses pinceaux et ses couleurs, et y mit le feu. Il resta assis, regardant la fumée du bois se perdre parmi les roches grisâtres, et les petites flammes du bûcher lancer au vent des lueurs d'une vivacité inhabituelle.
Quand tout fut réduit en cendres, Sakoumat regarda Nactumal pour la dernière fois, et remonta à cheval.

A Malaya, où il arriva deux jours plus tard, on le reconnut à peine. Beaucoup lui demandèrent ce qui l'avait retenu si loin. A tous Sakoumat répondit que c'était un long travail et ne dit rien de plus.
Quand se répandit la nouvelle de son retour, les gens recommencèrent à frapper à sa porte, pour lui demander de peindre chez eux des scènes de chasse ou de bain, des oiseaux ou des fleurs. Après avoir dit non au dixième demandeur, et en avoir pour la dixième fois refusé également d'en donné les raisons, Sakoumat vendit sa maison et salua ses amis pour la dernière fois.

Il partit et chevaucha pendant trois semaines, traversant les montagnes, longeant le fleuve Ceyhan.
Plus loin encore, à la limite d'un petit village aux maisons éparpillées entre des rochers grands comme des éléphants, il acheta une petite maison qui ressemblait à une pierre parmi les autres, à peu de distance de la plage.
De là il entendait le bruit des vagues, sans arrêt, mais c'était comme silence.
Il connut les gens du village et s'y fit quelques amis, avec lesquels il buvait le thé, cuisinait, et parlait calmement des faits présents.