Extrait du Coupeur de mots

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Le lundi, le mardi, le mercredi. le jeudi, le vendredi et le samedi, à six heures trente précises, le gros réveil sonne si fort, juste à l'oreille de Paul, que Paul croit rêver d'un gros réveil qui sonnerait très fort, juste à son oreille. Mais comme c'est un rêve, ou que tout au moins Paul le croit, il se tourne de l'autre côté pour se rendormir. Mais comme le réveil sonnait si fort dans le rêve de Paul que Paul s'est éveillé, Paul s'éveille, se retourne et regarde à six heures trente précises le gros réveil qui vient
juste de sonner. Ce réveil ne sonne décidément pas, se dit Paul, j'ai donc bien rêvé.
Qu'est-ce que Paul devrait faire ? se demande Paul. Il réfléchit un moment, puis ça lui revient :
s'asseoir dans son lit, repousser la couverture, poser les pieds par terre. Ouh ! Quel froid ! Paul se recouvre jusqu'au menton. Sinon, pas un bruit. A moins que ? Non, pas un bruit. Paul ferme les yeux et se dit : le sommeil qui vient après le réveil est le meilleur sommeil. C'est alors que la porte s'ouvre ; la maman de Paul crie d'une voix bien trop forte : " Debout, Paul ! " Elle allume une lumière bien trop éblouissante. La voix bien trop forte de la maman de Paul et cette lumière bien trop éblouissante, c'en est trop pour Paul ! Finis le lit chaud et le meilleur sommeil après le réveil.
Paul s'assied dans son lit, repousse la couverture et pose les pieds par terre. Ouh ! Encore plus froid que Paul ne l'avait pensé.
Quand il fait froid, le matin, Paul inverse toujours l'ordre des opérations : il commence par s'habiller, puis il se lave. Le petit déjeuner de Paul ne prend pas plus de cinq minutes. Paul n'est pourtant pas pressé d'aller à l'école.
Sur le chemin de l'école, il y a toujours quelque chose à voir. Et pourquoi Paul ne regarderait-il pas lorsqu'il y a quelque chose à voir ? Plus d'une fois, déjà, Paul est arrivé en retard parce qu'il avait regardé ce qu'il y avait à voir. Dans ces cas-là, il dit qu'il s'est rendormi. Un jour, il a dit qu'il y avait eu trop de choses à voir en chemin. Mais lorsque le maître lui a demandé ce que c'était, Paul n'a plus eu envie de raconter. Alors le maître a décrété que c'était une mauvaise excuse de la part de Paul,
parce que Paul ne voulait pas avouer qu'il s'était rendormi. Depuis ce jour, Paul prend le chemin de l'école à sept heures précises. Et la maman de Paul demande tous les matins : " Pourquoi pars-tu si tôt, Paul ? " Mais elle ne s'étonne pas outre mesure. Elle sait qu'il lui faut toujours beaucoup de temps. Par conséquent, elle trouve finalement que Paul a raison de partir si tôt.
La première chose que voit Paul est un arbre blanc géant qui flotte dans le ciel au-dessus de la tête de Paul. Un arbre-du-ciel qui flotte, se dit Paul. Un arbre géant, blanc. Un arbre blanc, géant. Un géant du ciel, un arbre blanc. Un arbre géant, blanc, dans le ciel. Au bout de sept pas - Paul va très lentement -, l'arbre est un éléphant. Six pas plus loin, l'éléphant est une locomotive. Cinq pas plus loin, la locomotive est un lit. Le vent fait du nuage ce qu'il veut : arbre-nuage, éléphant-nuage, locomotive-nuage, lit-nuage.
Paul, qui se sent encore fatigué, s'assiérait bien sur le dos de l'éléphant-nuage qui le mènerait confortablement à l'école. Il aimerait encore mieux s'allonger dans le lit-nuage. Il ne dormirait pas, c'est sûr, il ne ferait que somnoler. Les minces lambeaux de nuages qui s'effilochent et s'entremêlent autour du lit-nuage ressemblent à de la choucroute.
De temps en temps, Paul prendrait bien une portion de choucroute dans le bleu du ciel. Paul est arrivé à l'arrêt du tram. Un tramway, certes, ce n'est pas une locomotive-nuage, mais ce n'est quand même pas rien. Paul se poste derrière le conducteur et le regarde actionner la sonnette puis démarrer. En fait, Paul n'aime pas cette sonnette. Elle lui rappelle que le temps passe et que l'école va commencer. Les passagers se bousculent ; il faut que Paul fasse bien attention de ne pas être emporté dans cette bousculade. Un vieux monsieur dit à un autre monsieur, plus jeune :
" Tous les matins, je prends ce tramway, et tous les matins c'est le même cirque. On te secoue, on te cahote à te faire passer les derniers restes de fatigue si jamais tu étais encore fatigué ! "
Le tramway secoue et cahote en poursuivant sa route, mais Paul n'écoute pas plus longtemps l'entretien matinal des deux hommes. Il s'aperçoit qu'il commence à pleuvoir. Des paquets de pluie s'écrasent sur le tramway comme des vagues qui, de la hauteur d'une maison, s'écraseraient sur un navire.
L'eau frappe contre les vitres et ruisselle à torrents sur ces vitres : Paul se voit tout entouré d'eau. Le tramway chemine à côté d'un camion de charbon, qui fraie péniblement sa voie sur la chaussée inondée. Peu avant d'arriver à l'école, les rails sont si bossus et tordus que le tramway-navire tangue et rechigne. Le capitaine réduit le régime de moitié. Le cargo de charbon se faufile devant le tramway-bateau. Derrière le tramway-bateau s'est glissée une voiture-canot vert grenouille qui veut
obliquer sur la gauche dans un canal latéral. Personne n'a plus le droit de passer à côté du tramwaybateau, parce que le tramway s'arrête. Un autre tramway arrive en sens inverse, il croise le tramway de Paul. Entre ces deux tramways, il y a si peu d'espace que même Paul ne pourrait sans doute pas se faufiler.