Extrait de Nasr Eddin Hodja

Retour aux fiches pédagogiques

 

Rentrant fort tard de la maison de thé, Nasr Eddin laisse tomber, devant le seuil de chez lui, l’anneau qu’il porte au doigt.
Aussitôt l’ami qui l’accompagne s’accroupit pour chercher à tâtons. Nasr Eddin, lui, retourne au milieu de la rue, qu’éclaire un splendide clair de lune.

- Que vas-tu faire là-bas, Nasr Eddin ? C’est ici que ta bague est tombée !

- Fais à ta guise, répond le Hodja. Moi, je préfère chercher où il y a de la lumière.

Le soleil et la lune

On aimait bien embarrasser Nasr Eddin avec des questions oiseuses, ou carrément impossibles à trancher. Un jour, on lui demande :

- Nasr Eddin, toi qui est versé dans les sciences et les mystères, dis-nous quel est le plus utile, du soleil ou de la lune.

- La lune, sans aucun doute. Elle éclaire quand il fait nuit alors que ce stupide soleil luit quand il fait jour.

Un oiseau anormal

Un jour, une cigogne blessée tombe dans la cour de Nasr Eddin, qui prend soin d’elle mais attend qu’elle soit rétablie pour lui limer son long bec et lui rogner l’extrémité des ailes.
- Maintenant que tu es devenue presque normale, lui dit-il en la laissant aller, tu peux fréquenter les autres.

Le feu au derrière

Nasr Eddin se rend dans le bois avec son âne pour faire du fagot. Il place la charge sur le dos de l’animal mais elle est si lourde que le pauvre n’arrive pas à suivre son maître.
Un paysan, voyant la scène de son champ, lui dit :

- Par Allah ! Je n’ai jamais vu un âne aussi paresseux. Il y a pourtant un moyen radical de lui faire accélérer le train.

- Tu veux parler de la carotte, j’imagine ?

- Non, du piment rouge. Tiens, prends celui-ci, ouvre le et frotte-lui-en le cul. Tu m’en diras des nouvelles !

Nasr Eddin prend le piment rouge et il fait comme l’homme le lui a conseillé. Aussitôt, l’âne, le derrière en feu, démarre au grand galop, et Nasr Eddin se met à courir derrière lui pour le rattraper. Mais rien à faire, l’âne est emballé.
Alors Nasr Eddin ne fait ni une ni deux, il lève son djubbé et se frotte les fesses avec le piment. L’effet est immédiat, tellement puissant que notre homme dépasse bientôt l’âne et qu’il entre le premier dans la cour de sa maison, où il commence à tourner sans plus pouvoir s’arrêter.
Sa femme apparaît bien vite sur le pas de la porte pour observer ce prodige. Nasr Eddin lui crie, hors d’haleine :

- Attrape-moi, attrape-moi vite, ô fille de l’oncle, au lieu de me regarder. Je n’arrive plus à m’arrêter !

- Mais comment donc pourrais-je t’attraper ? Tu fonces comme un taureau en chaleur !

- Va chercher un piment et frotte-t’en le cul !

Occupant des lieux

- Maître, lui dit un jour un ahmad qui se prévaut déjà de quelque sagesse, que d’agitation sur terre ! Dès le matin, les gens s’affairent, vont, viennent, sillonnent la ville dans tous les sens, comme s’ils n’avaient pas mieux à faire !

- Ignorant ! grogne Nasr Eddin.

- Oui, ce sont des ignorants, continue le jeune homme. Ne feraient-ils pas mieux de s’assembler tous en un lieu saint pour prier ?

- C’est toi l’ignorant ! tonne le Hodja. Ne comprends-tu pas que si tout le monde s’agglutinait au même endroit, la terre basculerait et perdrait son équilibre ? Allah sait mieux que nous !

La juste place

Nasr Eddin a décidé de se faire construire une nouvelle maison sur un petit lopin de terre qui lui appartient. Il s’est adressé à un maçon, lequel essaie d’en dessiner le plan sur le sol :
- Ici, propose l’artisan en arpentant le terrain avec un bâton, il y aurait l’entrée… Non, plutôt là. Ici, donc, la cuisine, à moins qu’on ne la fasse à cet endroit…

A ce moment, le maçon lâche un pet.
- En tout cas, enchaîne le Hodja, c’est ici qu’il faut faire les latrines.

Ce qu’un homme peut faire

Nasr Eddin s’est introduit frauduleusement dans une melonnière mais, juste au moment où il s’accroupit pour voler un beau fruit bien mûr, il se fait surprendre par le gardien, lequel lui fonce dessus, gourdin brandi et force insultes à la bouche.
- Calme-toi donc ! proteste le Hodja en se relevant. Tu ne vois pas que j’ai dû entrer ici précipitamment et m’isoler afin de soulager un besoin pressant ?

L’homme regarde alors à terre et découvre une bouse de vache.

- Ah ! fils de chien, face de goudron ! Tu me prends pour un imbécile ? Tu ne vas quand même pas prétendre qu’un homme peut faire une telle merde ?

- Oh, si ! répond le Hodja : il le peut très bien quand on le traitre comme une bête.

La bonne direction

Nasr Eddin traverse la ville sur son âne, juché par-dessus à l’envers. Les quolibets ont beau pleuvoir dru, le Hodja reste très digne sous son turban.

- Nasr Eddin, l’admoneste sévèrement un de ses amis au passage, cesse donc de te ridiculiser ainsi aux yeux de tous. Tu vois bien que tu es assis du mauvais côté !

- Pas du tout, mon cher. En ce qui me concerne, je suis bien face à la direction où je veux aller. Seulement, voilà, cet imbécile qui est en-dessous n’en sait rien.

Comment dormir tranquille

Le soir venu, Nasr Eddin et son voisin devisent sur le pas de leur porte, puis ils décident d’aller au lit.

- Bonne nuit, lui souhaite le Hodja.

- Ah ! j’espère que je ne ferai pas un aussi mauvais rêve que la nuit dernière, répond l’autre. Figure-toi que j’ai rêvé que je me plantais dans le pied un clou long comme ça.

- Eh oui ! fait Nasr Eddin. Il faut toujours dormir avec ses bottes.